Archives mensuelles : avril 2015

Le mot du 23 mars 2015

équipe

          Il est « tendance » aujourd’hui, chez la plupart des dirigeants d’entreprise, des  leaders  de  parti  politique,  des  meneurs d’associations diverses, bref : des « chefs » de toutes sortes, de mettre en avant la notion d’ « équipe ». Le mot étant ainsi chargé de plein de sous-entendus : on a une équipe parce que l’on a rallié à soi, à sa démarche, à sa gestion,  un groupe de collaborateurs dévoués, soudés, convaincus par la justesse de  ses idées ; on a une équipe parce que l’on est un responsable charismatique aux indéniables qualités intellectuelles et humaines…

            Par ailleurs, et sans pour autant que le « patron » donne trop de pouvoir à ses adjoints, l’existence d’une « équipe » peut permettre de diluer les responsabilités en certaines circonstances.

            Équipe a d’abord été un synonyme d’équipage, au sens d’ « équipage d’un bateau », exclusivement. Cette signification est sortie de l’usage, de même que l’acception de « groupe de bateaux ». Via équipage, équipe est lié à équiper, verbe apparu au sens de « naviguer » ou « embarquer » selon certains linguistes, ou au sens d’ « arranger » selon d’autres chercheurs.

            Déjà en ancien français le mot désigna des personnes qui pratiquaient ensemble un sport. Plus près de nous (fin XIXe siècle), équipe a repris cette signification, mais avec un sens faisant ressortir la notion de groupe d’équipiers, de coéquipiers, au sein de sports d’équipe.

            À  la  fin du XIXe siècle, le terme prend, avec l’industrialisation, le sens  de « groupe de travailleurs, d’ouvriers œuvrant à une même tâche » : travail en équipe, un homme d’équipe, l’équipe de nuit, etc.

            Plus   récemment,   au   XXe   siècle,  équipe devient un équivalent usuel de « bande », de « groupe de personnes », généralement quand il s’agit de parler avec sympathie de personnes familières ou de personnes qui s’amusent, se distraient : « L’équipe d’amis se réunissait tous les vendredis soir au bar de la Marine », « La joyeuse équipe fêtait le mariage d’Audrey »…

         Dans la production exceptionnelle du grand cinéaste que fut Julien Duvivier, on ne saurait oublier une évocation douce-amère du Front populaire : la Belle Équipe, film à la distribution remarquable :  Jean Gabin, Charles Vanel, Viviane Romance, Aimos (qui sera tué sur les barricades, à Paris, à la Libération), et nombre des grands acteurs qui tenaient constamment les multiples et riches seconds rôles des films d’avant-guerre. Le pessimisme constituant quasiment une constante chez Duvivier, celui-ci tourna une fin tragique. Cela ne plut ni au public… ni aux producteurs. Duvivier et son coscénariste  Charles   Spaak   furent   contraints   de   tourner   une seconde fin, « heureuse »…

            À notre connaissance, à la suite de différents procès, seule la version d’origine a, aujourd’hui, le droit d’être exploitée. En revanche, les ayants droit autorisent peut-être, dans le cadre d’animations consacrées à l’histoire du cinéma, la diffusion des deux fins.

            Et, bien sûr,  c’est la réprobation, la critique ou l’ironie, voire le mépris, qui peuvent sous-tendre des exclamations du type : « Tiens ! Voici la fine équipe ! », dont la valeur  sera renforcée par le ton employé !

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Sympathique première dictée à Tourcoing, samedi dernier, à la médiathèque André-Malraux. Plusieurs amis belges du club d’orthographe Le Cercle d’or étaient venus y participer.

Ce même jour, les quelque 500 finalistes du Championnat national du Maroc de langue française et d’orthographe s’affrontaient à Casablanca, dans une joyeuse ambiance dont se félicitent encore les parents d’élèves et les enseignants.

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La citation du jour :

            « L’historien est un prophète qui regarde en arrière. » (Henri Heine.)

[Je suppose que Heine parlait de vrais historiens, et non d’histrions qui cherchent à faire le « buzz » avec des hypothèses aventureuses et des anecdotes croustillantes…]

 

Rappel des prochains événements

Quelques petits rappels…

 

Rappels des événements des prochaines semaines…

Samedi 11 avril : premier concours de culture générale pour la Mairie du 7e arr., l’ordre des Palmes académiques et l’UCIAP 7e. Au lycée La Rochefoucauld, 22, rue Malar, 75007 Paris.

Dimanche 12 avril :  présence au Salon du livre d’Autun ; animation avec l’Académie Alphonse Allais.

Samedi 18 avril : dictée de Tours.

Samedi  30 mai : dictée d’Asnières-sur-Seine.

Le mot du 19 mars 2015

épelure

               Le mot maire, épelé, donne, à l’oreille, à peu près : « Aime à y errer »… Alors, il y a quelques décennies, M. Pierre Ziegelmeyer inventa le mot épelure pour désigner les locutions, expressions, voire des phrases entières, plus ou moins drôles, plus ou moins subtiles, plus ou moins sensées, résultant ainsi de l’épellation.

            Avec maire, on peut imaginer un ancien édile qui, battu aux municipales, hante les couloirs de la mairie, car il « aime à y errer » !…

            L’épelure la plus intéressante est sans doute celle que l’on peut faire avec le prénom Mahaut, un prénom qui fut, notamment, celui d’une comtesse d’Artois magnifiquement dépeinte par Maurice Druon dans ses Rois maudits. L’actrice Hélène… Duc (!) y étincela dans la superbe série télévisée que filma, dans les années 1970, Claude Barma sur une adaptation brillante de Marcel Jullian. Variante de Mathilde, Mahaut donne, « en épellation contrôlée » : « Aima à chahuter ».

        Mais cette épelure est surpassée si l’on prend le nom du poète et compositeur Guillaume de Machaut, car on obtient alors un développement plus long… mais plus restrictif néanmoins : « Aime ASSEZ à chahuter » !

            Parmi les épelures possibles, citons : « Aima et rit » pour mari, « S’est hérissé » pour cric, « Ému était » pour muet, « obéi » pour obi, « À chaud, aime, émeut » pour homme. Voire un « Était athée » pour État  (ce qui va conforter les adversaires de la laïcité…) !

            L’épelure est donc le contraire du « condensé » style NRJ pour énergie, FMR  pour  éphémère,  RIC  pour hérissé/hérisser,  etc.  Ce  que  l’on   appelle  le « langage texto », mais qui existait bien des lustres avant l’arrivée des SMS, qui n’ont rien inventé !

            Dans les deux démarches, chacun peut voir à quel point l’on peut jongler avec les mots, car un très grand nombre de ceux-ci présentent des particularités, des singularités inattendues et amusantes. C’est pourquoi maîtriser le français est une nécessité et un plaisir.

La citation du jour :

            « Lynx envers nos pareils et taupes envers nous,

                Nous nous pardonnons tout et rien aux autres hommes. »

La Fontaine, la Besace.

le mot du 18 mars 2015

gonzesse

           Gonzesse est le féminin du mot argotique gonze, apparu d’abord en français sous la forme conce, puis gonce, au XVIIe siècle. Le terme est un emprunt à l’italien gonzo, « niais, balourd ». En français, la signification sera conservée,   puis   le   mot   prendra   l’acception   neutre,   banale, d’ « homme », d’ « individu », avant de revêtir le sens plus restreint de « patron », d’ « homme énergique », de « dur de dur », etc.

            Le féminin gonzesse n’apparaîtra qu’après 1800, à la fois comme équivalent de « femme, fille » et comme synonyme de « prostituée ». De nos jours, appliqué à des femmes, le terme peut être familier (« Tiens,v’là ma gonzesse ! »), mais non méprisant, correspondant à d’autres termes du français populaire : « greluche, souris, nana, nénette… » En français courant, c’est aussi, toujours,  un  synonyme   –   dans le « milieu » – de « donneur », de « balance », d’ « indic », ou bien encore d’ « homme sans énergie », de « lâche ».

              Le terme est souvent employé de façon injurieuse, inadmissible, à l’égard de personnes qui, ayant conscience des risques insensés présentés par telle action ou telle activité, recommandent la prudence… De plus, cette utilisation du mot reflète un insupportable machisme : si les femmes, sauf exception, n’ont pas la force physique des hommes, et si elles sont moins portées aux bagarres et aux guerres, cela ne justifie pas le mépris. Toutes les filles ne sont pas des adolescentes décérébrées, toutes les femmes ne sont pas des poupées Barbie éthérées, ou des bimbos sans neurones occupées à des futilités.

      Dans de nombreuses professions difficiles, pénibles, éventuellement rebutantes, voire tout simplement dans la vie ordinaire d’épouse, de mère de famille, beaucoup de femmes font preuve, au quotidien, dans l’anonymat, d’un courage et d’un dévouement qui valent bien le courage… ou la témérité écervelée, l’inconscience irresponsable, de certains.

           Au cours de la Seconde Guerre mondiale, nombre de femmes ont montré que les « gonzesses », quelles que soient leurs convictions politiques, religieuses, philosophiques,  savaient être d’un grand courage, savaient être héroïques, sans grandiloquence : des « Rochambelles » de Suzanne Massu  à Bertie Albrecht et Simone Michel-Lévy, entre autres femmes admirables. Toutes font partie à jamais des vraies élites du pays.

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La citation du jour  (… et,  en  même  temps,  ajout au mot du  jour « funiculaire » !) :

Du farceur Alphonse Allais :

Avec sa jeune épouse au soir de son mariage,

                                   Nicolas sut monter des quantités d’étages.

                                   Dans le sport amoureux superbe il se montra :

                                   Unique au lit fut Nicolas.

 

Rappel : Le premier concours de culture générale de Paris, organisé avec l’UCIAP Paris-7e et l’ordre des Palmes académiques, se déroulera le samedi 11 avril au lycée La Rochefoucauld, 22, rue Malar, 75007 Paris. Quels seront les Pic de La Mirandole 2015 senior et junior ?…

Informations et inscriptions : UCIAP 7e, 7, rue Duvivier, 75007 Paris. contact@uciap7.com

Le mot du 17 mars 2015

ostracisme

            Pour avoir dénoncé des injustices, des inégalités, des disparités croissantes entre citoyens d’un même pays, les privilèges exorbitants que s’auto-attribuent les membres d’une oligarchie bien en place, des journalistes, des écrivains et des philosophes se disent « ostracisés ».

            Il y a déjà un bon nombre d’années que, dans une de ses chansons à succès, le chanteur-compositeur Guy Béart affirmait que ceux qui disent la vérité doivent être « exécutés ». Bien entendu, il ne s’agissait pas d’un vœu ou d’un souhait, mais d’un constat réaliste et désabusé… L’exécution, très efficace, consiste généralement en une mise en quarantaine des « pestiférés » : aucune invitation au micro des radios, aucune présence sur les plateaux de télévision, grandes difficultés pour faire éditer ses ouvrages, etc. Et, si invitation il y a, c’est pour  se  retrouver  face  à  une  flopée  d’adversaires, animateurs-présentateurs « neutres » compris.

            Ostracisme    vient   du  grec   ostrakon,   « coquille »,   plus   précisément   « coquille d’huître », car c’est sur ce type de coquilles que les Athéniens, voire d’autres citoyens de diverses cités, gravaient leur vote quand il s’agissait de se prononcer sur le bannissement d’un des leurs. L’historien Jérôme Carcopino (Mélanges, 1910) estimait que l’ostracisme était « une pénalité propre au droit des Athéniens, une forme particulière d’exil qu’ils infligèrent sans autre raison à faire valoir que leur bon plaisir, par la simple émission sur ostraka d’un vote dont elle a tiré son nom ».

            L’ostracisme, justifié ou abusif, frappait de bannissement toute personne que rendait suspecte, menaçante, sa puissance. Ou son ambition. Cela revenait donc à éloigner d’Athènes, pour dix ans, des personnages considérés comme dangereux pour la cité-État… ou pour les intérêts de leurs rivaux. Il semble que la décennie de bannissement n’ait pas toujours été respectée et que les « exilés » (qui conservaient entre-temps, apparemment, la disposition de leurs biens) purent reprendre leur position de citoyen à part entière dès leur retour. Mais il s’agit là d’exceptions…

            Par ostracisme, on a donc désigné : l’action de bannir, de proscrire ; le parti pris d’exclusion à l’égard d’une personne ou d’un groupe ; la décision de rejeter des personnes ou un groupe, de les tenir à l’écart d’une collectivité, d’une société, des affaires d’un pays… ; l’attitude hostile d’une communauté, d’un groupe social, à l’égard d’une ou de plusieurs personnes : « En dix minutes le Nabab subit toutes les manifestations de ce terrible ostracisme du monde parisien » (Alphonse Daudet, le Nabab).

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La citation du jour :

            « Si l’on pouvait répandre le bon sens aussi vite et aussi bien que les sornettes, quelle grande réforme politique ce serait ! » (Winston Churchill.)

Rappel :  Premier concours de culture générale à Paris, le 11 avril, au lycée La Rochefoucauld (7e arr.). Deux catégories : juniors et seniors.

Le mot du 16 mars 2015

gymnopédie

      Le compositeur honfleurais (= de Honfleur, dans le Calvados, donc compatriote d’Alphonse Allais et d’Eugène Boudin) Erik Satie (1866-1925) est surtout connu pour sa musique de ballet Parade et pour ses Gymnopédies, constamment réenregistrées par des pianistes, et très souvent diffusées par des chaînes de radio dédiées à la musique. Ce mot insolite revient donc régulièrement dans les présentations d’extraits musicaux…

            Personnage qualifié d’excentrique et de fantasque, Éric Alfred (ou Alfred Erik) Leslie Satie (dit Erik, avec un k !) sort de l’ordinaire, en tant que précurseur du dadaïsme et du surréalisme, préposé à l’harmonium et chef d’orchestre au cabaret du Chat-Noir, compositeur d’œuvres pour les rosicruciens (ordre de la Rose+Croix), fondateur (et unique adepte) de l’Église métropolitaine d’art de Jésus-Conducteur, passant d’une « messe des pauvres » au répertoire du café-concert, du music-hall, s’attaquant à diverses formes du registre musical.

            Le répertoire de nombreuses cantatrices contemporaines telle Patricia Petibon s’enrichit de plusieurs musiques de Satie, notamment  la Diva de l’Empire (sur des paroles des compères Dominique Bonnaud, chansonnier et journaliste, et Numa Blès, chansonnier et « goguettier », deux personnalités marquantes du café-concert)…

            Politiquement, Satie ira un temps du Parti radical-socialiste au Parti communiste, en passant par la SFIO… Vivant, très discrètement, dans le dénuement, d’où son installation hors de Paris même, à Arcueil-Cachan (où se constitua autour de lui un cercle de musiciens que l’on appelle « l’école d’Arcueil »), Satie donnera des cours de solfège aux enfants défavorisés.

            Personnage déroutant, intrigant, attachant, Erik Satie mérite d’être connu des mélomanes, voire au-delà… Ses œuvres musicales, quand bien même porteraient-elles des titres bizarres, insolites (Trois morceaux en forme de poire, Gnossiennes, Vexations…), ne sont certainement pas à ignorer.

            Les Gymnopédies sont trois œuvres pour piano que Satie aurait composées après avoir lu Salammbô, de Gustave Flaubert. Le mot était de création récente : les linguistes retiennent la date de 1865. Il est emprunté au grec gumnopaidia, nom donné à des fêtes annuelles données à Sparte en l’honneur d’Apollon. Ces fêtes étaient marquées par de grandes danses d’enfants ou d’adolescents nus (gumnos, « nu », et pais, paidos, « enfant »). L’hypothèse d’une musique pour des marcheurs ou des coureurs, d’après le grec pedon, « sol », et le latin pes, pedis, « pied », est donc à écarter.

            Le rythme lent, la nature quasiment austère, de ces danses composées par Satie sont bien loin de l’accompagnement d’une gymnastique tonique et énergique. Les Gymnopédies dépouillées, sévères, spartiates (!), d’un caractère sacré dirait-on, conviendraient mieux à la pratique du stretching (de to stretch, « s’étirer ») ou de la gymnastique douce chinoise : le tai-chi (ou tai-chi-chuan).

            Des hellénistes, se fondant sur la mentalité rugueuse, sévère,  militariste, des Spartiates, préfèrent traduire gumnos par « sans armes ». Aux yeux des habitants de la grande rivale d’Athènes, toujours prêts à se battre pour la sauvegarde ou la suprématie de leur cité, un individu désarmé devait en effet paraître bien nu… Une opinion assurément partagée par tous ces messieurs du milieu : ces derniers ne disent-ils pas qu’il faut toujours sortir « couvert », c’est-à-dire avec sur soi une ou deux armes à feu !

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La finale du Championnat national du Maroc de langue française et d’orthographe est fin prête, et les quelque 500 finalistes seront bien présents à Casablanca en cette fin de semaine.

Le quota des inscriptions pour la dictée de Tourcoing, samedi 21, à la médiathèque André-Malraux, est quasiment atteint, compte tenu de la capacité de la salle. Que les retardataires se dépêchent de s’inscrire !