L’archaïsme du jour
Il est quelque peu étonnant de trouver dans un ouvrage récent (Pedro Páramo, de Juan Rulfo, Gallimard, 2005, pour la traduction espagnole [Mexique] de Gabriel Iaculli) l’emploi répété du mot bourriquier :
De nouveau, j’ai entendu le bourriquier faire : « Ah ! ».
« Regardez », m’a dit le bourriquier en s’arrêtant.
Car ce dérivé de bourrique, au sens d’ « ânier », de « conducteur d’ânes », s’il est attesté dans la plupart des dictionnaires généraux des XIXe et XXe siècles à partir des années 1850 (première datation : Maxime Du Camp, le Nil, ou lettres sur l’Égypte et la Nubie, 1854, p. 7 = « Des bourriquiers poussaient au-devant de moi des ânes harnachés de selles rouges »), n’a guère été employé en France, y compris, semble-t-il, dans des ouvrages populaires ou provinciaux. Aujourd’hui, sauf erreur, le mot est sorti de l’usage.
Il semble normal de se poser alors plusieurs questions : pourquoi Gabriel Iaculli a-t-il adopté un terme inusité en français contemporain ?… Juan Rulfo a-t-il opté, dans son texte original, pour un terme plus courant en espagnol du Mexique et qui serait un calque de bourriquier ? L’auteur (et − ou − son traducteur, par rigueur littéraire) a-t-il choisi un terme qui, compte tenu des aspects péjoratifs attachés à bourrique tant en espagnol (?) qu’en français, équivaudrait plus précisément à « ânier qui traite mal ses bêtes », « conducteur d’ânes fruste et brutal », etc. ? Rulfo dit en effet que le bourriquier « a allongé un coup de fouet aux ânes, sans nécessité, vu que les bêtes entraînées par la descente nous précédaient largement » (p. 13)… Nous aurions donc là peut-être un archaïsme, mais aussi une finesse du vocabulaire !