Archives mensuelles : décembre 2014

Le mot du 19 décembre 2014

coasser

            La talentueuse et spirituelle soprano colorature Patricia Petibon, à qui l’on peut  appliquer  le  titre d’une des compositions les plus connues d’Erik Satie : la « belle excentrique », interprète  notamment  avec  une  virtuosité ébouriffante « Aux  langueurs  d’Apollon,  Daphné  se refusa », un air de Platée, le désopilant « ballet bouffon » – requalifié de comédie lyrique – de Jean-Philippe Rameau.

           À plusieurs reprises ces dernières années, et c’est à chaque fois un bonheur, cette œuvre très originale qui narre les prétentions grotesques de Platée, nymphe batracienne et laide régnant sur les marais, est diffusée pour les fêtes. Cette grenouille a la folie de prétendre inspirer de l’amour à Jupiter lui-même. Cela se terminera sous les quolibets pour la malheureuse qui avait voulu évincer Junon.

            Présenté souvent erronément sous le titre d’ « air de la folie », avec un « f » minuscule , le… délirant « Aux langueurs d’Apollon… » est, en réalité, l’air de bravoure du personnage de la Folie, avec un « F » majuscule. Patricia Petibon y excelle par sa fantaisie et sa virtuosité, mais d’autres cantatrices telles Simone Kermes récemment, Sabine Devieilhe et surtout Mireille Delunsch ont interprété de façon remarquable, avec des nuances, ce morceau  qui exige une classe… folle.

    Un des chœurs drolatiques, qui accompagne au premier acte les récriminations de Platée, imite, par des « Quoi ? Quoi ? » répétés, le coassement (et non le croassement) de la gent grenouille. Ces deux paronymes sont en effet parfois confondus, et l’on attribue alors aux batraciens le cri des corvidés, ou inversement…

 

Le mot du 18 décembre 2014

indécence(s)

            L’indécence n’est pas uniquement le contraire, l’antonyme, de la pudeur, de la chasteté, et un synonyme de lubricité, de stupre, d’obscénité, de débauche, de grivoiserie et compagnie… Elle s’exprime par ailleurs par des comportements moralement vulgaires, par l’immodestie intellectuelle, par une suffisance grossière, par un mépris des convenances, par l’absence d’empathie, par l’indifférence au malheur, aux détresses…

            L’indécence se manifeste tout aussi vulgairement par le comportement de privilégiés de la fortune, qui n’appartiennent aux « élites » que par l’argent et la médiatisation qui l’accompagne. Elle s’oppose à la distinction, à la discrétion, au tact : tout ce qui fait la décence !

         L’indécence éclate aux yeux, aussi, quand elle se manifeste quotidiennement par le sourire béat, épanoui, quasi extatique, de journalistes de télévision chez qui l’autosatisfaction de présenter « le 20 heures » ou ses équivalents l’emporte continûment sur  des sentiments comme la compassion, la bonté, la commisération… Sourire aux lèvres, d’autant plus accentué quand il s’agit d’informations qui vont faire de l’Audimat et les mettre en valeur, certains de ces commentateurs annoncent avec joie, semble-t-il, les attentats meurtriers à répétition, les accidents d’avions ou de cars, les massacres perpétrés par des fanatiques fascistes, racistes et machistes, les drames divers dus à la misère, etc.

          Certes, prenant tout de même conscience, semble-t-il (?), de l’inconvenance de leur jubilation, ces journalistes changent en principe rapidement d’expression pour adopter une attitude neutre. Mais cela ne dure pas – chassez le naturel, il revient au galop ! –, et c’est avec un grand sourire retrouvé qu’ils annoncent, imbus de leur importance, le drame suivant, quittes à emprunter de nouveau pendant quelques instants une mine des plus sérieuses.

            S’agit-il d’un comportement naturellement propre aux narcisses, aux m’as-tu-vu, aux parvenus, aux carriéristes ? Cela est-il sinon provoqué, du moins accentué par des consignes données par les directions des chaînes et/ou les rédactions en chef : ne pas rebuter les sponsors, ne pas démoraliser le téléspectateur-citoyen moyen ?…

            Quelles que soient ses manifestations visibles, ses variantes, ses versions, l’indécence relève toujours d’une détestable, voire haïssable, vulgarité.

 

Le mot du 17 décembre 2014

chablis

            Parmi les excellents vins qui, traditionnellement, accompagnent les repas de fêtes figure le chablis, un blanc sec parfumé, fruité, issu d’un seul cépage : le chardonnay. Le vignoble bourguignon de Chablis est implanté sur des calcaires et des marnes.

            Le vieux verbe chabler signifie, régionalement, « secouer, battre, faire tomber », et, en particulier, « gauler » (chabler des noix). Dans la langue populaire, familière, chabler est usuel au sens de « frapper, battre », et en particulier de « chauffer, barder » dans : « ça va chabler ! ».

            Ce verbe a donné le dérivé chablis par lequel on désigne les arbres, le bois, abattus par le vent. Il n’y a pas d’accent circonflexe sur le a, bien que chabler (sans accent également) soit venu de l’ancien français chaable (voir, entre autres, aage, devenu âge). Strictement, par chablis on entend un arbre déraciné – par le vent, par la tempête – alors qu’un arbre brisé par les éléments naturels est un volis.

            La ville icaunaise (= du département de l’Yonne) de Chablis doit son nom à sa situation géographique, en un lieu où le vent était réputé abattre souvent les arbres, et elle-même a donné son nom au vin : du vin de Chablis, que l’on appelle, par antonomase, le chablis. Ce phénomène linguistique entérine, par ailleurs, le succès, la notoriété, la popularité dudit vin auprès des consommateurs. Mais, comme le saint-émilion, le sauternes, le côtes-du-rhône, le gewurztraminer, le saumur-champigny, l’anjou, le sancerre, autres nectars très appréciés, le chablis doit être savouré sans excès. Sinon, gare à la « gueule… de bois » !

Le mot du 16 décembre 2014

blouse

            Les « blouses blanches »,  les « blouses roses »,  les « blouses vertes »,  les « blouses bleues »… ont le blues. Très souvent, elles ont la rage, notamment quand elles se tuent au travail aux urgences des établissements hospitaliers. Avec des semaines de 60 à 70 heures exténuantes et pouvant entraîner des accidents pour les malades comme pour eux-mêmes, et des heures supplémentaires non payées, les médecins et infirmiers(-ières) urgentistes, particulièrement, sont bien mal traités (la graphie maltraités convient aussi !) alors qu’ils font partie réellement, eux, des vraies élites de la République.

            On s’accorde à penser que le mot blouse est issu de termes régionaux comme blaude, blode ou bliaud, qui désignent des vêtements amples propres aux paysans, ces vêtements étant en quelque sorte des « sur-vêtements » qu’on met par-dessus toutes les autres pièces de l’habillement, afin de les protéger. On parle donc des blouses de paysans, de rouliers, de charretiers ou d’ouvriers, d’où l’expression aujourd’hui obsolète de « monde des blouses » pour désigner la classe ouvrière.

            Les artistes peintres comme les peintres  en bâtiment portaient une blouse. Idem, les instituteurs,  et aussi les écoliers de naguère, qui ne songeaient pas à exiger de leurs parents des vêtements de marque hors de prix. La blouse en tous ses états peut recevoir d’autres noms, dont certains sont savoureux : souquenille, bourgeron, casaque, sarrau, tablier, roulière…

            Blousé(e)s, au sens propre, est un terme peu usité qui signifie « vêtu(e)s d’une blouse ». Un grand nombre des professionnels, des personnels des professions médicales en ont assez d’être également « blousés » au figuré depuis des années !   

 

 

Le mot du 15 décembre 2014

cardinal

            Le pape François, sous une apparence bonhomme, ne mâche pas ses mots, y compris, ces derniers temps, à l’égard des cardinaux, du moins à l’égard de ceux d’entre eux qu’il juge incompétents, incapables d’évoluer, confits dans la routine…

            L’adjectif cardinal (-ale, –ales, –aux) est dérivé du latin cardinalis, lui-même issu de cardo. Le cardo était un « gond », et aussi l’axe – surtout en parlant de l’axe nord-sud – qui divisait en deux un camp romain, ou une ville romaine. Cette séparation était obligatoire, et associée à la division par un axe ouest-sud : le decumanus.

            Le cardo était donc l’axe essentiel de l’organisation générale des cités. Cardinalis, après avoir eu le sens particulier de « qui concerne les gonds », « qui concerne la porte », a pris l’acception de « principal, essentiel, capital, fondamental… ».

            Au sein de l’Église, on en vint ainsi à employer l’adjectif pour désigner des religieux qui étaient à des positions charnières, qui servaient de pivot, des prêtres « principaux » placés à la tête des paroisses importantes de Rome : des prêtres cardinaux.

         Ces prêtres cardinaux, hiérarchiquement inférieurs aux évêques, devinrent, puisqu’ils étaient dans Rome, des proches du pouvoir papal, des auxiliaires directs du souverain pontife… L’adjectif se mua en substantif, au sens de « prélat choisi par le pape », et cardinal fut dorénavant le nom d’une dignité surpassant celle du simple évêque ou archevêque. Ce dernier était donc un… « point cardinal ». ☺

         En revanche, un cardinal peut être aussi évêque ou archevêque – le cardinal André Vingt-Trois, archevêque de Paris – et devenir camerlingue, c’est-à-dire le deuxième personnage de l’Église catholique, chargé d’administrer les affaires temporelles de l’Église en cas de vacance du Saint-Siège.

            Par allusion à la robe rouge du cardinal (mais cette robe est souvent noire, aussi : le protocole extrêmement précis de l’Église fait varier la couleur des soutanes selon les circonstances), plusieurs emplois figurés et locutions diverses ont été, ou sont encore, employés : faire cardinal a signifié « décapiter » ! ;  avoir son cardinal (ou : ses cardinales), en argot, s’appliquait à la période des menstrues ; ceux qui en… pincent pour le homard le surnomment le « cardinal des mers » (un surnom qui n’est justifié qu’après la cuisson : le homard est bleu, sinon !) ; cardinalisé a signifié « rendu rouge », et se dit toujours au sens de « qui a été nommé cardinal »…

            Richelieu a souvent été surnommé « l’Homme rouge » (aussi « le cardinal rouge »… ce qui est nettement entaché de pléonasme !), le plus souvent avec une connotation péjorative à l’égard du premier ministre de Louis XIII. Alexandre Dumas surtout, dans les Trois Mousquetaires, et aussi Victor Hugo ont contribué à donner du cardinal une représentation négative. L’auteur des Misérables, dans Marion de Lorme, ajoute le sang à la pourpre cardinalice quand l’un  de  ses personnages dépeint ainsi Richelieu en cardinal doublement rouge : « Prenez garde, messieurs ! Le ministre est puissant : / C’est un large faucheur qui verse à flots le sang ;  /  Et puis, il couvre tout de sa soutane rouge,  /  Et tout est dit. »

            Le portrait est par trop expéditif à l’égard d’un personnage qui fut sans doute l’un des plus grands hommes d’État que la France ait eus… La preuve, même le libertaire Pierre Perret (l’homme des « jolies colonies de vacances ») dit dans Mon almanach (Le Cherche Midi, 2014) : « […] il a mouillé plus d’une fois la soutane pour son pays […]. Il a filé de sérieux coups de paluche à la marine militaire et marchande, aux manufactures, à la soierie, à la tapisserie et à flopées d’autres encore. »

                  

Le mot du 12 décembre 2014

conspuer 

          À travers le monde, généralement, les dirigeants politiques ne jouissent pas d’une grande vénération de la part de leurs peuples. Leurs résultats, leur gestion des affaires, ne sont, le plus souvent, guère à la hauteur des besoins et des attentes. Et, si un grand nombre de leurs concitoyens sont prêts à prendre en compte les énormes difficultés qu’éprouvent ceux qui doivent assurer la sécurité intérieure, un niveau de vie décent permettant à chacun d’avoir le vivre et le couvert sans avoir à sacrifier les soins, les loisirs, etc., cette compréhension disparaît quand les hommes et les femmes politiques « se servent » plutôt que de servir…

          On voit donc de plus en plus de politiciens adopter des chemins de traverse, au sens propre, pour rejoindre tel ou tel lieu afin d’y prononcer une allocution, d’y présider une inauguration, d’y tenir un meeting. Cela à des heures qui, parfois, évitent de mauvaises rencontres (manifs de contribuables excédés, d’agriculteurs en colère, de chômeurs exaspérés…), devant des assistances réduites mais bien sélectionnées, et – ou – avec un grand train de gendarmes mobiles (et non de « gardes mobiles », comme disent très souvent certains journalistes ayant 60 ans de retard), de CRS et Cie qui, répartis aux alentours, auront rejeté au loin les éventuels ou probables manifestants.

          Ces événements entraînent donc à utiliser souvent le verbe conspuer : Les salariés licenciés du groupe X… ont conspué le ministre lors de sa visite ;  Les partisans de la laïcité ont conspué le chef de l’État, après ses dernières déclarations… Ces phrases sont très correctes : on conspue des personnes, généralement ; plus rarement des choses, dans la langue courante. Les synonymes ou mots de sens voisin qui s’imposent sont donc : huer, siffler, agonir, couvrir de lazzis (de quolibets, d’injures, d’insultes)…

          Conspuer vient du latin conspuere, de cum, « avec », et spuere, « cracher ». Conspuer, c’est donc, littéralement, « couvrir de crachats à plusieurs » ; plus littérairement : « mépriser ». Le terme, en fait, n’a pas, depuis longtemps, l’acception réaliste : ceux qui conspuent ne couvrent vraiment pas autrui, en principe, d’expectorations, alors que compisser et conchier, dont la signification est suffisamment claire sans qu’il soit besoin de s’y appesantir, ont gardé chacun leur sens… naturaliste.

        Mais nous sommes en pleine incorrection lorsque des médias disent ou écrivent, par exemple : « Le secrétaire général du principal parti d’opposition a conspué, lors du dernier rassemblement des délégués départementaux, la ministre de l’Écologie » ! Un individu isolé ne saurait conspuer, puisque l’action exprimée par ce verbe ne peut être effectuée que par un groupe, une foule, une assemblée, un auditoire, une troupe, un public…  

            Conspuer, c’est « manifester bruyamment, publiquement, et EN GROUPE, contre quelqu’un (ou, parfois, quelque chose) ». En français correct, il aurait fallu, dans le dernier exemple, à la place de conspuer, employer critiquer très vigoureusement, vilipender, railler, blâmer vivement, attaquer, accuser, voire, le cas échéant, d’après la virulence et l’angle des attaques : vouer aux gémonies, maltraiter, insulter… !

Le mot du 11 décembre 2014

cadeau

            La course aux cadeaux de fin d’année est déjà amorcée depuis plusieurs jours, voire quelques semaines.  De multiples raisons expliquent cette précipitation : souci d’éviter la foule,  possibilité de trouver plus facilement les objets et les jouets convoités, besoin de répartir les dépenses sur deux mois ou plus…

            En dépit des soucis qui frappent un grand nombre de Français, la somme moyenne consacrée aux achats de cadeaux, si l’on en croit les médias qui effectuent des sondages ou qui rapportent les sondages effectués par des organismes spécialisés, reste importante (plus de 500 euros)… Les sondés, dans leurs réponses, embellissent-ils par amour-propre la réalité ?…  La moyenne obtenue ne dissimule-t-elle pas une grande disparité ?… Le nombre et la situation des sondés sont-ils vraiment fiables et suffisants pour en tirer des chiffres ?…

            Tout cela justifie de consacrer une chronique à cadeau  sans attendre Noël ni le jour de l’An !

            Le sens moderne de cadeau découle d’une suite d’analogies : à l’origine, le provençal capdel, issu du latin capitellum, « petite tête », « extrémité ». Capdel, donc, était employé au sens de « capitaine », de « personnage placé en tête ». Les scribes reprirent ce mot, ou sa variante cadeau, pour désigner une initiale ornementée figurant en tête d’un alinéa ou d’un chapitre. Cette sorte de lettrine, cette lettre capitale (ou lettre cadelée) comportait souvent une tête de personnage.

          Cette ornementation s’est étendue à des lettres richement décorées figurant dans les marges, les blancs de bas et haut de pages, etc. Cadeau a ensuite été utilisé à propos de dessins machinalement tracés sur le sable ou dans des cendres, et des développements (textes ou dessins) faits par des maîtres d’écriture autour des exemples donnés à leurs élèves… Et, encore, pour qualifier, au XVIIe siècle, le verbiage inutile, les enjolivures superflues dans un propos ou dans un discours. Enfin, cadeau a désigné une fête galante, avec banquet et musique, offerte à une dame…

            De cette notion globale de « choses jolies, mais inutiles » on est arrivé à l’idée de « présent offert à quelqu’un, soit en hommage, soit par amitié et affection ». Édouard Herriot, homme politique français qui ne manquait pas d’esprit, a écrit dans ses Notes et maximes : « Les cadeaux sont comme les conseils : ils font plaisir à ceux qui les donnent ». On pourrait ajouter que, comme certains conseils, les cadeaux peuvent rapporter gros, car les « petits cadeaux entretiennent l’amitié », voire les relations utiles.

     Si Flaubert a utilisé le verbe cadoter (ou cadotter), où se mêlaient, involontairement, cadeau et doter, aujourd’hui c’est cadeauter qui est en usage –  en Afrique et aux Antilles –  pour signifier « faire un (des) cadeaux », « gratifier quelqu’un de quelque chose ».

            Plusieurs locutions usuelles comportent le terme. Ainsi : « ne pas faire de cadeau(x) à quelqu’un » (se montrer dur, voire impitoyable) ; « c’est un cadeau du ciel » (aubaine inespérée qui tombe à point ; talent, qualité, qui ne doit rien au travail, mais tout à la providence) ; « c’est pas un cadeau ! » (chose ou personne qui apporte des tracas, qui est pénible ou désagréable), et sa variante ironique « merci du cadeau ! ».

            Savoir offrir un cadeau adéquat exige de la finesse, de la perspicacité. Chez certaines personnes, c’est un véritable… don.

Le mot du 10 décembre 2014

principauté

            Le  « Rocher »  est en joie, ainsi que les chroniqueurs (surnommés parfois « les Petits Frères et Petites Sœurs des riches ») férus de châteaux et de titres ronflants : Son Altesse Sérénissime la princesse Charlene de Monaco a donné naissance à des jumeaux !

            La principauté de Monaco suscite, on le sait, des sentiments très divers, antagoniques : paradis fiscal, voire « État voyou », pour certains ; vraie démocratie, séjour paradisiaque pour ceux qui y sont nés, qui sont venus y résider (surtout des privilégiés fortunés), et entretenant le rêve, pour d’autres.

             Il  n’y  a pas de raison de mettre de majuscule à principauté quand  on  dit « principauté de Monaco », même si le terme pourrait relever des cas de majuscules « d’unicité » adoptées lorsque l’on parle de quelque chose n’existant qu’à un exemplaire à l’échelle de la planète, d’un continent, d’un sous-continent, d’un pays, etc. Monaco est en effet – à part quelques micronations anecdotiques peu connues : voir ci-dessous – la seule principauté médiatisée de façon notable. En Europe, en tout cas…

              Employé au sens absolu, pour parler de Monaco, donc, il devrait y avoir cette majuscule dans : la Principauté. Mais les usages orthotypographiques varient, en l’occurrence, et toutes les « marches maison » ne ratifient pas cette capitale.

              Principauté, ce ne saurait être une surprise, dérive de prince et du vieux français principalité, qui aurait évolué sous l’influence de royauté. Le terme eut autrefois l’acception de « dignité de prince, pouvoir d’un prince ». Dans la religion catholique, et selon la classification de saint Thomas, les principautés (ou : les Principautés) constituaient le premier ordre de la troisième hiérarchie céleste…

       De temps à autre, un individu ou un groupe d’individus ont érigé en principauté une parcelle de terre : ainsi la principauté de Hutt River, en Australie-Occidentale, fondée en 1971 par un propriétaire de plusieurs exploitations agricoles en bisbille avec les autorités : Leonard George Casley. Ce dernier, devenu « prince Leonard Ier » et ayant réparti titres nobiliaires et attributions ministérielles entre les membres de sa famille, a émis des timbres, de la monnaie, et même des passeports, sans que le gouvernement australien ne s’émeuve beaucoup. (J’ai raconté l’histoire de ce micro-État dans Curiosités et énigmes de l’Histoire [édit. Albin Michel].)

          Dans les années 1950, en Italie (Ligurie), des habitants de la ville de Seborga revendiquent l’indépendance de leur commune, d’après un statut très ancien de leur localité. Aujourd’hui, cette  principauté de quelque trois cents habitants a pour monarque constitutionnel un promoteur immobilier, Marcello Menegatto, intronisé en 2010 sous le nom de Marcello Ier… La justice italienne n’a pas vraiment tranché l’affaire, car l’État a perdu trois procès contre Seborga, qui, elle, a saisi la Cour européenne des droits de l’homme pour faire valoir ses droits à l’indépendance. Cette « comédie à l’italienne » n’est donc pas terminée…

        Le compositeur Edmond Audran est surtout connu pour son opéra-comique, ou opérette, la Mascotte, dont l’intrigue se déroule dans une… principauté italienne imaginaire :   Piombino, où règne Laurent XVII. La « mascotte » en question est une jeune bergère, Bettina, qui porte chance à ceux qui la prennent à leur service, à condition qu’elle reste vierge. Laurent XVII, dont les États ne sont pas au mieux, l’engage, voulant profiter des dons de la jeune fille, et va tout faire pour qu’elle demeure pure !

 

Le mot du 9 décembre 2014

gryphée

            Noël et jour de l’An : période faste pour les gryphées !  « Faste »… pour leurs consommateurs, plutôt, car l’on ne saurait dire, par comparaison, que la fin de l’année soit une époque joyeuse pour les oies, canards, dindes et chapons, sacrifiés pour que l’on fasse bonne chère (et non « bonne chair[e] »)… Il n’est pas sûr que la devinette prêtée à un ancien chef de l’État : « Quelle est la différence entre une poule et un chapon ?…  –   Une poule, cha pond. Un chapon, cha pond pas ! » puisse égayer, au moment de leur sacrifice, les coqs châtrés engraissés en vue de leur consommation.

            Nombre d’écaillers (= pas de « i » derrière les deux « l »), voire, peut-être, quelques ostréiculteurs (= pas de tréma sur le « i »), comprendraient de travers, ou ne comprendraient pas du tout, une question très éventuelle où ils croiraient entendre : « Quel est le prix dégriffé ? » alors qu’il s’agirait de : « Quel est le prix des gryphées ? ». Je  me  suis  servi  de  cette  homonymie  pour  tendre  un gros « piège de sens » aux concurrents des dictées !

            Gryphée nous vient du grec via le latin grypus, puis gryphus. La signification en est « courbé », ce qui est justifié par la forme du mollusque lamellibranche de la famille des ostréidés. Par gryphée comestible, on désigne en effet… l’huître portugaise.

*****

Appel général : la joyeuse dictée « loufoco-logique » Alphonse-Allais est victime de son succès…  L’espace octroyé dès le début de l’après-midi, un samedi de novembre, chaque année, dans le cadre très plaisant du restaurant-brasserie-cabaret La Crémaillère 1900, siège social de l’Association des Amis d’Alphonse Allais (AAAA), place du Tertre, à Montmartre, se révèle maintenant tout juste suffisant pour accueillir concurrents enjoués et correcteurs guillerets ! On ne saurait sans doute empiéter plus avant sur la salle où se pressent évidemment les consommateurs, les convives, eux aussi épanouis et diserts. L’isolation acoustique n’est donc pas assurée au mieux, forcément… En tout cas, pour le moment.

       Avec navrance (si si, le terme existe !), les responsables de l’AAAA envisagent donc d’organiser éventuellement la dictée en un lieu plus vaste et moins bruyant… et gratuitement mis à disposition. Si possible toujours à Montmartre, dans le 18e arrondissement… Mais toutes les suggestions, toutes les propositions et offres seront les bienvenues. MERCI !

Le mot du 8 décembre 2014

caniveau

           Les linguistes, les lexicologues semblent se perdre en conjectures – et non en « conjonctures » ! – sur l’origine de caniveau… L’hypothèse la plus logique, mais qui n’est pas avérée par tout le monde, renvoie au latin canabula, « canal de drainage ». Après avoir été une rigole grossièrement taillée et servant de tout-à-l’égout, si l’on peut dire, au milieu des rues, le caniveau est devenu une rigole longeant les bords des trottoirs et servant à l’écoulement des eaux de la chaussée. Pour autant, on n’y trouve pas que l’eau pure des ondées ou des averses…

      Le mot évoque donc, surtout par son passé, des termes peu ragoûtants comme immondices, sentine, cloaque, égout, bourbier, bas-fond, ordures, vidange, etc. Il n’est donc pas étonnant de voir repris caniveau, à juste titre, hélas, pour  qualifier  une certaine presse se repaissant de faits-divers sordides, d’ « informations » immondes, de nouvelles sans intérêt mais bien graveleuses… Il s’agit principalement d’une certaine presse écrite – y compris de journaux qui furent naguère « potables », voire honorables –, mais il faut y ajouter quelques autres médias.

            Le dégoût que suscitent la presse caniveau, les journaux caniveau, les médias caniveau  (il n’y a pas de trait d’union, et caniveau est figé au singulier) ne doit pas conduire à réserver le même opprobre à la presse « people » (ce dernier mot est assez souvent écrit pipole, d’ailleurs). Certes, cette dénomination porte parfois sur une presse dite « à scandale », peu reluisante elle aussi, tandis que les autres journaux et médias « people » sont principalement des organes relevant de la presse « à sensation » et traitant de l’actualité des personnes publiques, des personnalités médiatisées… Les meilleurs de ces médias « people » ne sombrent pas dans la trivialité ni dans l’indigence rédactionnelle.