« fatigue démocratique »
L’expression « fatigue démocratique » commence à se répandre çà et là, dans les propos de telle ou telle personnalité de la politique ou du syndicalisme, notamment. La formule est sans doute ressentie, au premier abord, comme ambiguë, mais sa signification ne devrait pas, cependant, prêter à discussion…
Sans se dépêtrer complètement de cette calamité qu’est la « langue de bois » – ce jargon où se mêlent lâcheté et hypocrisie, euphémismes et litotes – l’expression affirme, de façon encore feutrée, qu’il y a « quelque chose de pourri au royaume du Danemark ». Tirée du Hamlet de Shakespeare, cette dernière phrase est passée en proverbe avec des acceptions populaires du genre « le ver est dans le fruit », « rien ne va plus », « on marche sur la tête », « on fonce droit dans le mur »…
Qui est fatigué, en l’occurrence ?… Le régime politique, qui ne fait plus face aux graves problèmes socio-économiques, aux problèmes de société, etc. De la même façon que l’on dit de chaussures usées, usagées, qu’elles sont fatiguées… Ou peut-être les politiciens et politiciennes de métier, qui font carrière pendant trente ou quarante ans, voire plus, en se servant (avantages et privilèges divers, cumul de mandats, retraites très confortables) plutôt que de servir avec désintéressement le pays et leurs compatriotes. Fatigués eux aussi, ces politiques, et donc incapables d’affronter les nouvelles donnes nationales et internationales.
La « fatigue démocratique » est aussi, peut-être surtout, l’extrême lassitude ressentie par un nombre croissant de citoyens et citoyennes, qui, abattus et déprimés par l’état d’un pays où croissent les inégalités et les injustices, où le chômage ne cesse d’augmenter en dépit d’astuces comptables qui tentent de masquer la situation ou d’à-coups favorables qui ne durent qu’un temps, se détournent de la démocratie, jugée être le régime de l’impéritie et de l’avilissement.
Fatigués de la caricature de république, du faux-semblant de démocratie que leur a imposé une « noblesse d’État et d’affaires », beaucoup de Français et de Françaises ne se déplacent plus pour voter, et n’adhèrent plus aux syndicats – que nombre de salariés estiment souvent insuffisamment combatifs, voire inféodés au pouvoir politique –, etc. Cette « fatigue démocratique » ne résulte pas totalement, sans doute, d’arguments fondés, justifiés, mais les motifs légitimes de son développement sont innombrables.