Le mot du 11 mars 2021 (1)

De la correction…

Parmi tous les textes que je citerai – une fois terminés et parus les ouvrages en cours, dont le dictionnaire des difficultés pour le CFPJ -, dans le livre de Mémoires que l’on me demande d’écrire il y aura évidemment une des chroniques de Pierre Georges consacrées aux correcteurs du Monde…


Le 18 juin 1997, Pierre Georges, rédacteur en chef adjoint du Monde, consacrait en effet aux correcteurs du journal sa spirituelle et réputée chronique de « DH » (dernière page). Ce ne fut pas la seule fois où il salua des plus amicalement −  et je l’en remercie encore infiniment – mon équipe de « pêcheurs de perles » et de « chasseurs de coquilles ».


La Leçon de correction

          « LA BELLE BLEUE ! Une somptueuse faute d’orthographe, hier. Citons, toute honte bue, la phrase concernée : « dans la prescription des connaissances et le désert philosophique où le temps nous a conduis ». Admirable ! Dans une chronique traitant du bac philo, voilà qui faisait chic. Zéro pointé, sans oral de rattrapage !

            Avant que le courrier n’arrive et que les moqueries fusent, car la cible est tentante, une tentative d’explication. Pour commettre un tel crime, il fallait bien constituer une association de malfaiteurs, s’y coller à plusieurs. La phrase originale comportait une erreur d’accord. Nous avions écrit, dans l’urgence du ramasse-copie, « où le temps nous a conduit ». Le relecteur vit bien qu’il y avait un défaut, qu’il manquait un « s ». Il le rajouta vivement, mais nul n’est parfait, en supprimant le « t ». Et voici comment l’on sombre, en tandem, dans le ridicule.

            Et les correcteurs, direz-vous ? Les correcteurs n’y sont pour rien. Les correcteurs sont des amis très chers. Une estimable corporation que la bande à Colignon ! Une admirable entreprise de sauvetage en mer. Toujours prête à sortir par gros temps, à voguer sur des accords démontés, des accents déchaînés, des ponctuations fantaisistes. Jamais un mot plus haut que l’autre, les correcteurs. Ils connaissent leur monde, leur Monde même. Ils savent, dans le secret de la correction, combien nous osons fauter et avec quelle constance. Si les correcteurs pouvaient parler !

            Heureusement, ils ont fait, une fois pour toutes, vœu de silence, nos trappistes du dictionnaire. Pas leur genre de moquer la clientèle, d’accabler le pécheur, de déprimer l’abonné à la correction. Un correcteur corrige comme il rit, in petto. Il fait son office sans ameuter la galerie. Avec discrétion, soin, scrupules, diligence. Ah ! Comme il faut aimer les correcteurs, et trices d’ailleurs ! Comme il faut les ménager, les câliner, les courtiser, les célébrer avant que de livrer notre copie et notre réputation à leur science de l’autopsie. Parfois, au marbre, devant les cas d’école, cela devient beau comme un Rembrandt, la Leçon de correction !

            Tout cela pour dire que, dans l’abominable affaire du « conduis » qui nous a valu ce matin quelques mesquins quolibets du genre « encore bravo ! », la responsabilité des correcteurs n’est pas engagée. Ils ne sauraient corriger que ce qui leur est soumis dans les temps. Or vient toujours le moment, en matière de bouclage, où, après l’heure, ce n’est plus l’heure ! Le moment où les esprits autant que les rotatives s’échauffent et où monte ce mot d’ordre, implacable, unique, impératif des chefs de gare : « On pousse ! » On pousse les pages aux fesses, le journal au cul. Avec ou sans faute d’orthographe. On le pousse, ce journal, dans l’état où il est vers l’état où il vous arrivera. […] »

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